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La culture à neuneu

Règle du jour : les personnes les plus improbables regorgent de ressources insoupçonnées. Aujourd’hui nous causons culture des années 2000. Ne fuyez pas, ne pensez pas théoriciens, philosophes à concepts, tragédies antiques et étalage de confiture. La seule tragédie qui vaille aujourd’hui est culturelle et bien moderne, alors traitons-la dans son temps et considérons ensemble notre formule.

J’y songeai l’autre jour en croisant un de ces types les yeux tournés sur lui et trop occupés pour voir le monde : quand il marche, il se regarde ; quand il s’arrête, il se contemple ; quand il parle, il s’écoute ; et quand il dit bonjour, facile, il se voit accroitre sa popularité. Pour notre plus grand bonheur, il est aussi idiot que narcissique. Nous l’appellerons affectueusement « l’abruti du quartier ». Oui, et ? A priori, vous me direz, il est à l’idée de culture ce que Superbus est à la chanson à texte. Et pourtant.

Le Michelin pour culture

L’idée répandue est que l’ère culturelle est moribonde, l’air nauséabond : plus personne n’en a, plus personne ne s’y intéresse. Pour autant, tout n’est pas perdu, elle parviendra toujours à se diffuser. Comme elle peut, certes. Voyez, si je dis Anatole France, vous savez vaguement qu’il est célèbre et a dû faire quelque chose en son temps, mais rarement plus. Pourquoi ? La réponse est d’une affligeante évidence : parce qu’un ami d'enfance habitait au 54 d’une avenue de ce nom. Ainsi va la culture, elle s’amasse à la lumière blafarde des néons éclairant nos rues. Les grands noms ne marquent plus les esprits par leur production, mais pour avoir laissé leurs noms à quatre impasses, quelques lycées et une poignée de place.

Mais cette diffusion est trop superficielle pour être à l’abri de fâcheux accidents. Dès que l’autoroute de la culture de masse vient à empiéter sur les plates-bandes de la culture de chemins (anciennement culture générale), elle est écrasée. Les confusions dans les esprits peuvent être regrettables. Admettons je parle Salomon, combien de personnes vont se rappeler qu’avant d’être une importante griffe des sports d’hiver, Salomon n’a dominé aucune discipline sportive, seulement Israël. Et le centenaire Lévi-Strauss n’a-t-il jamais tenté de refourguer des Jeans à des Indiens d’Amazonie ? Et, à moins de pratiques alimentaires peu communes, Chateaubriand ne se déguste pas nécessairement avec sa sauce et des pommes de terre soufflées.

Une question de fond

L’évolution culturelle est en route et le problème n’est plus d’en proposer mais d’en offrir trop, n’importe comment, façon gavage d’oies. Rien de nouveau, on n’a pas attendu les années 2000 pour inonder les marchés de la seule ressource qui vaille : les best-sellers programmés. Le cinéma est depuis longtemps submergé de superproductions jugées sur de vrais critères allant de la nouvelle coupe du célèbre Josh G. à la qualité du défilé télévisuel des acteurs expliquant à quel point leur film est bon car ils ne se sont « jamais autant amusés sur un tournage ». Leur banquier aussi, mais c’est indécent. Dans les librairies, les livres fleurissent, sur des sujets passionnants comme « ma vie » ou « ma méthode ultime pour maigrir », bien affublés de ce gage de qualité et d’autorité : « Vu à la télé ! ».

Bref, de nos jours, plus besoin d’étendre sa prose, renouveler son genre et enflammer une nation entière, un maquillage bien étalé et 10 minutes sous le feu des projecteurs de l’access-prime suffisent amplement pour devenir un nom. Vous me direz, ça reste une question de fond, seulement aujourd’hui l’essentiel c’est le fond de teint.

Mais la formule a ses limites. Par sa contrainte de devoir plaire à tous, la culture de masse est devenue plate, sans forme, bien trop lisse. Autrefois, la critique avait sa place dans les idées, entraînant échanges virulents, débats animés, têtes hautes et mains levées. Aujourd’hui, c’est main courante puis tribunal au titre de propos racistes, misogynes, sinon diffamatoires (solution passe-partout). De cette logique aussi implacable que dangereuse, le comique même est menacé. Avant, l’humoriste rigolait du nain, de l’aveugle, de l’obèse, de l’alcoolique, du petit-nègre, etc. Aujourd’hui, ce serait beaucoup trop d’audace dans un monde aseptisé. Qui ne s’est jamais fait la remarque « Et Coluche, si c’était aujourd’hui ? ». Alors, de quoi rire sans risque ? Il fallait une solution.

Ce messie d’abruti

On a trouvé un messie, c’est notre « abruti du quartier ». Improbable salvateur de la culture de masse, ce débile a, entre autres de nombreuses qualités comme sa débilité, le bon goût d’aimer exhiber sa connerie. Dès lors, l’idée est simple, donnons-lui la parole. En plus, c’est démocratique. Après le succès de la simple invitation, l’offre s’est diversifiée nous donnant d’intelligentes combinaisons permettant aux idiots de révéler tout leur potentiel : le jeu, la confesse, la confrontation et le stade ultime, l’enfermement de gogols. L’enfermement. Vous fourrez dans un loft divers archétypes classiques, un rugbyman, une bimbo, un bucheron et agrémentez d’un animateur dont on se demande pourquoi il n’est pas à l’intérieur, avec ses congénères.

En fin de compte, avouez, les avantages sont multiples. Plus de souci d’authenticité : on n’imite plus le machisme primaire, la grande légèreté ou la rusticité, les abrutis sont tout heureux de les donner eux-mêmes en spectacle ; plus de souci de rémunération juste, un débile, ça ne se paye même pas ! La révolution culturelle de ces années 2000, c’est bien « Loft Story ». Alors amis abrutis, profitez de votre avantageuse disposition et n’hésitez plus, animez la vie culturelle désormais à portée de tous !

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